Tensions et conflits internes
Le temps où l’entreprise semblait (relativement) épargnée par les affres du monde extérieur est-il révolu ? C’est bien ce qu’indiquent un certain nombre de signaux faibles.
L’entreprise apparaît de moins en moins comme « un empire dans un empire ». Ses murs font de moins en moins figure de frontières étanches avec les perturbations qui traversent la société prise dans son ensemble.
Alors que les crises – écologiques, économiques, géopolitiques et politiques tout court – s’accumulent, le contexte global finit fatalement par peser sur le moral des troupes.
Gestion des conflits en entreprise, mise au point avec Christophe Labattut, Responsable du pôle Santé au travail et QVCT, et Morgan Philippe, Directeur des opérations, chez ACCA Professionnels.
La multiplication des conflits en entreprise
« Quelque chose est en train de se passer : l’année dernière, nous ouvrions environ une cellule d’écoute psychologique par mois ; en ce moment, le rythme se situe plutôt autour de deux par semaine ! », indique Christophe Labattut. En cause, l’incertitude généralisée et l’insécurité au travail, qui font partie des six facteurs de risques psychosociaux identifiés, mais pas que. Pour Morgan Philippe, un autre phénomène vient s’ajouter au premier : « une multiplication des zones de conflictualité dans les entreprises ». Autrefois, les tensions se cristallisaient surtout dans les rapports hiérarchiques. « Aujourd’hui, les conflits n’éclatent plus seulement avec les N+1, mais avec les collègues, sans rapport de subordination ! Même au sein des CSE, il n’est pas rare qu’on soit à couteaux tirés… », abonde Christophe Labattut.
Signe des temps : la conflictualité n’explose plus seulement dans les entreprises qui traversent une mauvaise passe économique. Même les entreprises qui vont bien sont concernées.
Sujets sensibles, personnes sensibles, tout le monde est sur la défensive
Les causes ? Par-delà l’angoisse généralisée qui aiguise les sensibilités, elles sont multiples. Pour Morgan Philippe, « face à un certain nombre de chocs conjoncturels comme de mutations sociétales plus profondes, les entreprises se retrouvent en première ligne. Entre le contexte économique dégradé ou encore la vague me too, sans oublier, il n’y pas si longtemps, le COVID, la situation n’est pas toujours facile à gérer… ».
Ainsi, des comportements qui étaient il y a quelques années encore tolérés relèvent aujourd’hui clairement du harcèlement.
Ensuite, la crise politique que traverse la France, avec son lot de fractures et de tensions, se répercute au sein du bureau ou de l’atelier. Déjà, parce qu’on est peut-être aujourd’hui moins enclin à laisser ses opinions politiques à la porte de l’entreprise. Mais dans le contexte de polarisation actuel, il n’est même pas nécessaire de clamer haut et fort ses convictions plus ou moins avouables pour que l’ambiance tourne au vinaigre. Mon voisin de bureau est-il un raciste qui se cache ? Sa remarque borderline à la cantine à midi doit-elle être interprétée comme un indicateur de son vote aux prochaines législatives ?
Rappelons qu’une récente étude Ipsos portant sur les dernières élections européennes a montré que le RN est passé, depuis 2019, de 13 % à 20 % des votes chez les cadres, qu’il est devenu le premier parti chez les salariés (36 %), et ce aussi bien dans le public (34 %) que dans le privé (37 %).
Lignes de démarcation brouillées
Bien sûr, l’entreprise n’a jamais été absolument imperméable à l’importation de la conflictualité politique : nous ne vivons pas dans un épisode de la série Severance (ou les employés d’une mystérieuse firme consentent à ne garder aucun souvenir de leur vie extérieure quand ils sont au bureau, et inversement). Il a même existé des époques, comme les décennies 60-70 où la polarisation était au moins aussi forte. « La différence, c’est qu’entre conservateurs et libéraux d’un côté, et communistes de l’autre, les lignes de démarcation étaient claires. En fonction de sa place dans la hiérarchie de l’entreprise, on savait à peu près où les uns et les autres si situaient sur l’échiquier politique », rappelle Christophe Labattut.
Le contexte d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir : c’est plutôt l’incertitude qui domine, l’entrée dans l’ère du soupçon généralisée.
Dans le meilleur des cas, on évite les sujets qui fâchent… Et dans le pire… Les entreprises doivent se donner les moyens d’appréhender sérieusement ces situations potentiellement explosives.
« Les entreprises doivent se donner les moyens d’appréhender sérieusement ces situations potentiellement explosives ».
Christophe Labattut
Article co-écrit par
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